"Tokaido Yotsuya Kaidan" de Nobuo Nakagawa

Publié le 15 Novembre 2012

Le cinéma japonais des années 50, c'est trois Oscars du meilleur film étranger (1952, 1955 et 1956), une Palme d'or à Cannes (1954) ou deux Lion d'or du festival de Venise (1951 et 1958). C'est aussi un Oscar des meilleurs costumes (1955), deux Ours d'argent du meilleur réalisateur à Berlin (1958 et 1959) ou encore un Prix du jury à Venise (1953). C'est encore la période maturité d'immenses réalisateurs comme Kurosawa, Naruse, Ozu ou Mizoguchi.

C'est la période où Ishiro Honda réalise un film mettant en scène un dinosaure géant nommé Godzilla, pour tenter d'évoquer l'horreur atomique qui a meurtri le pays moins de dix ans auparavant.

Bref, c'est l'âge d'or du cinéma japonais.

Et puis, dans un petit coin de ce glorieux tableau, un peu oublié, il y a Nobuo Nakagawa qui, au cours de cette seule décennie, tournera une cinquantaine de films et posera les règles du Kaidan Eiga, le film de fantômes japonais.

Un décor et un éclairage expressionnistes avec de petits moyens ; Un mariage typique.Un décor et un éclairage expressionnistes avec de petits moyens ; Un mariage typique.Un décor et un éclairage expressionnistes avec de petits moyens ; Un mariage typique.

Un décor et un éclairage expressionnistes avec de petits moyens ; Un mariage typique.

Samouraïs et fantômes

Tokaido Yotsuya Kaidan est considéré comme un des films les plus aboutis de ce réalisateur. Il raconte la vie de Iemon, jeune samouraï désargenté. Désireux d'épouser Oiwa, originaire d'une famille plus aisée, il demande sa main à son père qui le repousse dédaigneusement. Iemon en colère le tue ainsi que les deux hommes qui l'accompagnaient.

Surgit alors Naosuke, un homme sans condition, qui lui propose moitié sous forme de chantage, moitié sous forme de conseil, de faire équipe avec lui. En compagnie de Iemon, Naosuke va mentir à Oiwa, à Osode, la jeune sœur d'Oiwa qu'il désire et au fiancé de celle-ci en accusant un bandit quelconque d'être coupable du crime commis par Iemon. Ils se mettent tous les cinq en quête de vengance. Naosuke profite d'un moment d'éloignement des deux sœurs pour poignarder le fiancé d'Osode et le pousser du haut d'une chute d'eau. Il revient en courant vers les deux sœurs prétendant que c'est l'assassin de leur père qui les a attaqués. Il part avec Osode à leur poursuite, laissant Iemon en compagnie de Oiwa souffrante.

On retrouve Iemon et Oiwa deux ans plus tard. Ils ont eu un enfant. Oiwa est amère : son père n'est toujours pas vengé, ils vivent dans la pauvreté et elle n'a pas eu de nouvelle de sa sœur depuis leur séparation. Iemon, vexé de ses remarques quitte leur maison. Il va retrouver secrètement Naosuke, qui habite dans la même ville qu'eux en compagnie d'Osode. Naosuke ne veut plus vivre dans la pauvreté. Il veut faire un coup avec Iemon quitte à tuer des gens.

Dans la rue, Iemon sauve un homme riche et sa jeune fille d'une agression. Le père et la fille sont débordants de reconnaissance et laissent espérer à Iemon bien de choses. Naosuke y voit une chance inespérée pour eux deux : Iemon doit l'épouser quitte à tuer sa femme. Iemon, influencé par Naosuke qui lui fournit un poison, le fait boire à Oiwa. Défigurée, souffrant atrocement, elle tue leur enfant et se suicide.

Le soir même, Iemon épouse la fille de l'homme riche qu'il a secouru. Lors de la nuit de noce, le fantôme d'Oiwa apparaît plusieurs fois. Pris de folie, en voulant frapper ces fantômes, il tue sa nouvelle femme et ses deux beaux-parents avant de se réfugier dans un temple.

Le fantôme de la femme apparaît aussi chez Osode. Naosuke avoue tous leurs crimes. Le fantôme conduit la jeune sœur jusqu'à son ancien fiancé, qui a survécu à la chute.

Tous deux partent pour tuer Iemon. Lors d'un combat à trois, Iemon, en position de force, mais harcelé par les fantômes et les remords, se tue à l'aide de l'épée de la jeune sœur.

Pas de doute possible, on est au Japon ; Le plan le plus érotique du film ; Des remords en kimono.Pas de doute possible, on est au Japon ; Le plan le plus érotique du film ; Des remords en kimono.Pas de doute possible, on est au Japon ; Le plan le plus érotique du film ; Des remords en kimono.

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下手な鉄砲も数うてば当たる
" Même un fusil maladroit atteindra la cible en multipliant les tirs " (proverbe japonais)

Voir un film japonais est à la fois très excitant et problématique. Excitant parce que cela nous révèle des pans entiers de culture que nous ignorions. Problématique parce que plus encore qu'ailleurs, on risque de passer à côté d'une référence évidente ou d'interpréter à l'envers une péripétie du film. Les films de Nakagawa, de ce point de vue, sont particulièrement redoutables puisqu'on y croise des influences aussi diverses que le kabuki, le bouddhisme, les contes populaires ou encore … les films d'horreur de la célèbre société de production anglaise, la Hammer.

Je ne pourrai pas me lancer pas dans une explication de mes choix sur la transcription des caractères japonais, sur l'ordre prénom/nom de famille ou sur la traduction des titres qui accompagnent tout ouvrage sérieux en rapport avec le Japon. Pour autant, il me semble que ce n'est pas parce qu'on ne parle pas japonais et qu'on n'est pas grand connaisseur de la culture qu'il faut renoncer à parler de ce cinéma. Dans tout cela, il faut espérer qu'il y aura tout de même des choses justes. Je brûle donc ici un bâton d'encens à Bouddha pour qu'il me garde des plus grossières erreurs et qu'il m'envoie des correcteurs aimables en cas de bourde.

Une séance de pèche aux informations ; le costume traditionnel de la fête des raviolis ; Des repères un peu flous.Une séance de pèche aux informations ; le costume traditionnel de la fête des raviolis ; Des repères un peu flous.Une séance de pèche aux informations ; le costume traditionnel de la fête des raviolis ; Des repères un peu flous.

Une séance de pèche aux informations ; le costume traditionnel de la fête des raviolis ; Des repères un peu flous.

Une vieille histoire

Nakagawa n'est pas le premier à raconter cette histoire. On se la transmet depuis l'ère Edo (XVIIème siècle). Elle était à l'origine un " kaidan ", une histoire populaire mettant souvent en scène un fantôme. On se réunissait les soirs d'été pour se raconter ces histoires effrayantes. Tout le monde s'asseyait en rond, une bougie allumée devant soi. Chacun racontait à tout de rôele un kaidan et à la fin de son récit éteignait sa bougie. Le tout avait à l'origine une vocation morale puisqu'il s'agissait de transmettre les valeurs du bouddhisme. C'est une pratique qu'on retrouverait encore de nos jours. C'est peut-être en rappel de ces histoire que les films d'horreur sortent de préférence l'été au Japon. Lors du générique du film de Nakagawa, un homme promène une bougie sur scène. Il peut s'agir de situer le film dans cette tradition. Le mot " kaidan " lui-même donnera le terme de " kaidan eiga " qui servira à désigner les nombreux films de fantômes japonais.

Avant d'arriver jusqu'aux studios de cinéma, cette histoire deviendra au XIXème siècle une des pièces de kabuki parmi les plus populaires et sera le sujet de nombreuses images. C'est au Japon un véritable classique. Il avait déjà inspiré plus d'une dizaine de films avant celui de Nakagawa. L'engouement pour les amours tragiques de Iemon et Oiwa ne s'est jamais démenti puisqu'on compte aujourd'hui une trentaine d'adaptations à l'écran de ce kaidan.

Le passage le plus célèbre de l'histoire ; Une certaine conception du bonheur conjugal ; Ce n'est pas parce qu'il s'agit de poison qu'il ne faut pas soigner le packaging.Le passage le plus célèbre de l'histoire ; Une certaine conception du bonheur conjugal ; Ce n'est pas parce qu'il s'agit de poison qu'il ne faut pas soigner le packaging.Le passage le plus célèbre de l'histoire ; Une certaine conception du bonheur conjugal ; Ce n'est pas parce qu'il s'agit de poison qu'il ne faut pas soigner le packaging.

Le passage le plus célèbre de l'histoire ; Une certaine conception du bonheur conjugal ; Ce n'est pas parce qu'il s'agit de poison qu'il ne faut pas soigner le packaging.

L'héritage du kabuki

C'est donc à un objet culturel prestigieux et très connu que s'attaque Nakagawa lorsqu'il réalise son film. Il va dès le début présenter son film comme une tentative d'adapter du théâtre à l'écran. Le nom du studio apparaît à peine à l'écran que l'on entend des coups qui annoncent le début d'un spectacle dans le théâtre kabuki -un peu à la manière des trois coups du brigadier en France. Puis on voit s'ouvrir le traditionnel rideau tiré par un accessoiriste invisible et une scène nue apparaît. Tandis que les noms défilent à l'écran, le récitant accompagné d'un musicien chante un texte -sans doute le début de la pièce- expliquant le thème de ce qui va nous être montré : le meurtre d'une épouse par son mari.

On trouve dans le film bien des éléments qui permettent le rapprochement avec le kabuki sans qu'on puisse savoir si cette seule influence a guidé les choix du réalisateur. Le format du film lui-même, très large, n'est pas sans rappeler celui de la scène. Mais c'est surtout la première séquence qui fait figure de manifeste. Aussitôt après le générique, nous assistons à un plan virtuose qui commence en plongée dans la boue, s'élève jusqu'à un chemin où trois hommes marchant de droite à gauche vont rencontrer Iemon. S'ensuit une dispute puis un combat au cours duquel trois hommes sont repoussés vers la droite et tués avant que ne surgisse Naosuke et qu'il ne sorte en compagnie de Iemon, quatre minutes après le début du plan. Entretemps, Nakagawa aura réussi à souligner l'opposition entre Iemon et le groupe des trois hommes en filmant à travers une cabane qui coupe l'écran en deux.

On retrouvera de nombreux plans proches de celui-ci au cours du film (notamment, les scènes de dispute entre Oiwa et Iemon) mais aucun ne sera aussi spectaculaire. Avec ce plan en temps réel, Nakagawa affiche son choix de respecter la dimension scénique de son histoire. Le jeu des acteurs est montré dans sa continuité et presque sans variation de point de vue, comme si nous étions dans un fauteuil de théâtre.

Pendant le générique du film : L'ouverture du rideau ; Le récitant et le musicien ; Un accessoiriste invisble par conventionPendant le générique du film : L'ouverture du rideau ; Le récitant et le musicien ; Un accessoiriste invisble par conventionPendant le générique du film : L'ouverture du rideau ; Le récitant et le musicien ; Un accessoiriste invisble par convention

Pendant le générique du film : L'ouverture du rideau ; Le récitant et le musicien ; Un accessoiriste invisble par convention

Des effets spéciaux artisanaux

Le kabuki est un théâtre dans lequel les trucages jouent un grand rôle. On voit des assassinats ou des fantômes sur scène. Au cinéma, il est aisé à l'aide d'un cut de faire disparaître un objet, ou de couper une tête. Dans Tokaido Yotsuya Kaidan, les trucages autant que possible se feront à vue. Un plan de la nuit de noce de Iemon et de sa seconde femme illustre cette volonté. Les deux jeunes époux sont accroupis sur leur lit recouvert d'une moustiquaire, dans les bras l'un de l'autre. La jeune épouse se couche et sort du cadre pendant que Iemon défait ses vêtements. Apparaît derrière lui le fantôme hideux de sa première femme. Iemon effrayé bondit hors de la moustiquaire qui s'écroule, prend son sabre et frappe. Le plan commencé par une étreinte ne finit qu'à cet instant, après une apparition de fantôme et un meurtre grâce aux ruses du réalisateur.

Une des plus célèbres scènes de la pièce est celle au cours de laquelle Oiwa découvre son visage défiguré et tente de se coiffer. Elle a été le sujet de nombreuses estampes. Il fallait ici être à la hauteur des attentes des spectateurs. Nakagawa utilise le cut pour maquiller l'actrice lors de la première apparition de sa déformation, il la dramatise à l'aide d'un plan sur le miroir dans lequel elle se voit. C'est d'autant plus aisé que les miroirs étaient protégés d'une sorte de couvercle. La deuxième partie était un de moments attendus de toute représentation de la pièce de kabuki. Oiwa, souhaitant masquer sa difformité se coiffe mais le passage du peigne emporte des lambeaux de peau et des mèches de cheveux. Le trucage avait lieu sur scène. Se conformant encore une fois à l'esprit du théâtre, Nakagawa traite ici ce moment en un plan particulièrement marquant.

On peut aussi remarquer de nombreux surcadrages dans ce film. Ainsi, quand Iemon sauve l'homme riche et sa fille d'une agression, la majorité de la scène, y compris la fuite d'une foule nombreuse, est filmée de l'autre côté d'une barrière où seule une ouverture entre deux tentures nous permet d'y assister. Cela servira sans doute à renforce l'idée que le père et sa fille sont acculés et sans possibilité de fuite mais cela permet aussi de donner des bornes à l'écran, de délimiter un espace de représentation et de se rapprocher de l'esthétique du théâtre avec sa scène aux frontières nettement marquées.

Mais sans doute peut-on aussi y voir une manière astucieuse de tourner une scène de panique dans une rue à moindre budget...

Le trucage du peigne ; Des trucages faits direcement lors du tournage du plan.Le trucage du peigne ; Des trucages faits direcement lors du tournage du plan.Le trucage du peigne ; Des trucages faits direcement lors du tournage du plan.

Le trucage du peigne ; Des trucages faits direcement lors du tournage du plan.

Le moteur de la Shintoho

Le cinéma japonais d'après-guerre ressemble par certains côtés à celui d'Hollywood. Tous les moyens sont aux mains de quelques gros studios, appelés les majors. Concurrents les uns des autres, ils sont tous spécialisés dans quelques genres qui vont faire leur réputation. La Toho, où naîtra Godzilla, fera des films de monstre une de ses spécialité tandis que la Nikkatsu donnera plus dans les Yakuzas. Nakagawa lui atterrit à la Shintoho qui est la plus petite des majors. L'histoire de la Shintoho et celle de Nakagawa sont liées.

D'abord parce que les producteurs influenceront sur les sujets des films. La Shintoho fera du film " kaidan eiga ", le film d'horreur, une de ses spécialités. Et si l'oeuvre de Nakagawa est très imprégnée de la culture japonaise, on peut aussi y voir des traces de la culture occidentale. Nakagawa connaît le mythe de Faust et verra L'Exorciste à sa sortie. Le modèle qu'on lui donne sera la Hammer, qui connaît alors son âge d'or et multipliant les films de monstres tirés de la tradition littéraire et tournés en couleur.

La mariage entre la culture japonaise et l'influence européenne sera dans l'ensemble heureux, si l'on fait exception de Lady Vampire, film de vampire qui se veut occidental (on chante " happy birthday " en anglais, un des personnages habite un château avec créneaux et armures médiévales et porte des noeuds papillons) qui finit dans une crypte, cachée en haute montagne, par une grotesque confrontation entre le héros et la police d'un côté et l'équipe du mauvais vampire formée entre autres d'un nain et d'un colosse muet, de l'autre...

Trois exemples de surcadrage.Trois exemples de surcadrage.Trois exemples de surcadrage.

Trois exemples de surcadrage.

Un art de la débrouille

Nakagawa doit aussi sans doute à son passage à la Shintoho d'avoir été un réalisateur si prolifique. Sur l'ensemble de sa carrière, il aura réalisé 98 films pour le cinéma et la télévision. La période où il a été le plus actif correspond à son passage à la Shintoho. La compagnie sera active de 49 à 61. Au cours de cette grosse décennie, Nakagawa aura le temps de réaliser une cinquantaine de films, soit la moitié de sa filmographie. A raison de quatre films par an, on pourrait dire qu'il fera tourner la Shintoho presque à lui seul. Son film le plus connu, Jigoku, coïncidera avec la faillite du studio, les figurants étant obligés de mettre la main à la pâte bénévolement pour permettre que le film soit achevé.

Le manque d'argent étant un événement récurent de la Shintoho, Nakagawa va vite devenir un expert de la débrouillardise et multipliera les solutions pour créer une ambiance ou un trucage au moindre coût. Cela va sans doute influencer son style et peut l'avoir amené à utiliser pour certaines scènes des décors à la limite de l'abstraction. Lors d'une rencontre entre Naosuke et Iemon supposée se dérouler dans une fête, Nakagawa place ses deux acteurs devant des bandelettes de couleur suspendue. On ajoute dessus une musique joyeuse et on obtient ainsi une scène peu couteuse. Une moustiquaire ou quelques plants de bambous suffiront à créer à un décor saisissant.

Deux décors bon marché made in Shintoho. Une moustiquaire éclairée en rouge sur fond noir.Deux décors bon marché made in Shintoho. Une moustiquaire éclairée en rouge sur fond noir.Deux décors bon marché made in Shintoho. Une moustiquaire éclairée en rouge sur fond noir.

Deux décors bon marché made in Shintoho. Une moustiquaire éclairée en rouge sur fond noir.

Décors sur fond noir

Pourtant, dans d'autres scènes, on trouvera des décors soignés et des parties entières de village construites. Il est possible que ces décors aient été rentabilisés en servant dans plusieurs films. Dans ce contexte, il est difficile de faire la part de ce qui relève du manque d'argent ou de la stylisation. Certains des plus beaux plans de ses films tirent leur force du fond noir qui les accompagne. Certaines séquences de Jigoku se passent aux enfers. Le manque d'argent était tel qu'il fallait parfois se passer complètement de décor. On voit ainsi une centaine de figurants courir en cercles sur un plateau désespérément vide. C'est pourtant un des passages de son œuvre qui reste le plus célèbre aujourd'hui.

Dans Tokaido Yotsuya Kaidan, on trouve dans certaines scènes des décors travaillés, vastes mais dotés d'un fond noir. C'est le cas notamment du moment où Iemon se débarasse du corps de sa femme et le jette dans un marécage. Il marche dans des marais où seules les herbes sont visibles et semblent presque luire dans la nuit, tant leur couleur tranche avec le reste du décor laissé nu. S'agit-il de donner de la théâtralité à la scène ou de ne pas dépenser de précieux yens ?

De la même façon, il n'hésitera pas à éclairer un visage en rouge ou en vert sur fond noir lors de certaines scènes d'apparitions de fantômes.

Un décor digne d'un spectacle de Pina Bausch ; Un décor relativement dépouillé... ; Un fond monochrome.Un décor digne d'un spectacle de Pina Bausch ; Un décor relativement dépouillé... ; Un fond monochrome.Un décor digne d'un spectacle de Pina Bausch ; Un décor relativement dépouillé... ; Un fond monochrome.

Un décor digne d'un spectacle de Pina Bausch ; Un décor relativement dépouillé... ; Un fond monochrome.

Hors champ et hors champ

Nakagawa joue aussi beaucoup sur le hors-champ. Là encore, on peut se demander s'il choisit d'un choix économique, esthétique ou moral. C'est sans doute une alternance des trois raisons, qui parfois aussi coïncident sans doute.

En ne montrant pas la scène de combat entre Iemon et les agresseurs de l'homme riche, il économise une scène. L'homme secouru résumera la scène que nous n'avons pas vue en disant : " Vous êtes vraiment habile de l'épée ".

En utilisant des plans d'insert sur un feu d'artifice lorsque Naosuke et Iemon clouent le cadavre d'Oiwa à un volet pour la transporter à l'étang, il s'agit de gagner en rythme, de passer un détail sordide et de montrer la continuité de l'action grâce à ces explosions qui rythment toute cette nuit.

En faisant sortir la caméra de la maison où a lieu un crime pour ne retrouver l'homme assassiné qu'à sa mort, il s'agit sans doute pour Nakagawa de s'éviter de filmer une mort. Il faut d'ailleurs noter que les meurtres à coup de sabre dans ces films sont très théâtralisés et que le réalisme n'est pas une obsession chez lui. Même lorsqu'un personnage est touché, le sabre reste loin du corps. De même, on ne s'embête pas à simuler des blessures ou des flots de sang. Une marque de peinture rouge suffit à faire comprendre que le personnage est mort.

Il est intéressant à ce sujet de rapprocher les films des années 50 faits pour la Shintoho avec Okatsu the fugitive qu'il tournera vers les années 70. Nakagawa ne tourne plus beaucoup et n'a plus vraiment son mot à dire. En une décennie, le cinéma japonais beaucoup changé. Chaque coup de sabre est accompagné d'un bruit effrayant et le sang coule à flots. De même, ce film fait partie d'une trilogie supposée être assez coquine. Chaque film met en scène une belle héroïne persécutée. Le premier volet réalisé par un autre réalisateur multiplie les plans sur une actrice dénudée. Dans Okatsu the fugitive, l'un des enjeux scénaristique du film consiste à retrouver un bout de papier que l'héroïne garde sur elle, y compris quand elle prend son bain. Le dur travail des méchants consiste donc à l'examiner de près... Pourtant, avec un tel argument, on ne verra rien de plus que les épaules de la jeune actrice.

Question de principe.

La fin d'un meurtre après utilisation du hors-champ ; La conception d'un brancard avec des ellipses insérées grâce à des inserts de feu d'artifice, à moins qu'il ne s'agisse de la fin du monde tournée avec un budget Shintoho.La fin d'un meurtre après utilisation du hors-champ ; La conception d'un brancard avec des ellipses insérées grâce à des inserts de feu d'artifice, à moins qu'il ne s'agisse de la fin du monde tournée avec un budget Shintoho.La fin d'un meurtre après utilisation du hors-champ ; La conception d'un brancard avec des ellipses insérées grâce à des inserts de feu d'artifice, à moins qu'il ne s'agisse de la fin du monde tournée avec un budget Shintoho.

La fin d'un meurtre après utilisation du hors-champ ; La conception d'un brancard avec des ellipses insérées grâce à des inserts de feu d'artifice, à moins qu'il ne s'agisse de la fin du monde tournée avec un budget Shintoho.

Représentations de l'Enfer ...

Le cinéma de Nakagawa semble montrer une grande religiosité de sa part. Certains de ses collaborateurs, dans les bonus de l'édition Criterion de Jigoku, le décrivent comme un bouddhiste très pieux. La présence récurrente d'autels dans ses films n'est pas là que pour une question de couleur locale. On se rappelle que les Kaidan étaient à l'origine des histoires édifiantes destinées à effrayer les hommes. Jigoku, son film le plus célèbre, peut se traduire en français par l'Enfer. Ce n'est pas du tout une métaphore. Le film est fait de deux parties : dans la première, on voit les histoires mêlées d'une quinzaine d'êtres humains plus ou moins abjects, mais presque tous faibles et pécheurs. Dans la seconde, après qu'ils soient tous morts, on les retrouve aux enfers en train de subir toutes sortes de tortures, ce qui donne lieu à un déluge d'inventions visuelles tantôt réussies tantôt ratées. De même, à la fin d'un autre de ses films, Snake Woman's curse, on voit quelques uns des personnages entrer au paradis.

Beaucoup de films de Nakagawa suivent le même parcours. Tokaido Yotsuya Kaidan ne fait pas exception. Un crime initial en entraîne d'autres. Le criminel est hanté par les fantômes qui reviennent de plus en plus souvent. Sa mort fait presque figure de soulagement. La malédiction peut se transmettre parfois sur plusieurs générations. C'est la croyance au Karma qui est alors mise en scène.

Un peu de pétrole et des idées suffisent pour reconstituer l'Enfer ; Un fantôme ; Iemon, qui vient de mourir et qui va aller tout droit en enfer.Un peu de pétrole et des idées suffisent pour reconstituer l'Enfer ; Un fantôme ; Iemon, qui vient de mourir et qui va aller tout droit en enfer.Un peu de pétrole et des idées suffisent pour reconstituer l'Enfer ; Un fantôme ; Iemon, qui vient de mourir et qui va aller tout droit en enfer.

Un peu de pétrole et des idées suffisent pour reconstituer l'Enfer ; Un fantôme ; Iemon, qui vient de mourir et qui va aller tout droit en enfer.

… et du Paradis

A ces fantômes vengeurs s'ajoute souvent une autre figure, celle du tentateur. On en trouve un très bon exemple dans Jigoku. Le personnage de Naosuke en fait office dans Tokaido Yotsuya Kaidan. Il arrive sans qu'on ne sache d'où, à l'image de sa première apparition après le meurtre du père d'Oiwa. Il est semblable en cela au diable de Faust. À chaque fois, c'est lui qui pousse au crime le trop faible Iemon qui montre pourtant des remords mais ne parvient pas à se faire à l'idée de vivre dans la pauvreté. La scène lors de laquelle Naosuke vient relancer Iemon dans un temple où il s'est retiré est révélatrice à cet égard. Iemon ayant enfin trouver la force de lui résister dans sa retraite religieuse le tue d'un coup de sabre. Sa mort est soulignée par un ralenti et le montre tombant dans une mare de sang. En se décidant enfin à tuer le tentateur, Iemon met fin à sa série de crimes. Nombre des films de Nakagawa font du méchant le personnage principal. On est amené à comprendre leurs faiblesses. Tout n'est pas noir en eux et pourtant, ils succombent. Voilà qui doit servir de mise en garde pour les spectateurs.

Une grande partie du cinéma de Nakagawa semble d'ailleurs prêcher la résignation aux faibles. On y voit toujours des samouraïs ou des puissants corrompus et cruels d'un côté et de l'autre, des serviteurs, des infirmes ou des jeunes femmes sans moyen de subsistance. Les premiers abusent des seconds par tous les moyens mais finissent punis par les fantômes. Le message est clair : résignez-vous à une vie de souffrance sur Terre et vous irez au paradis tandis que vos persécuteurs iront en enfer. On retrouve le même schéma de manière particulièrement marquée dans Tokaido Yotsuya Kaidan. Oiwa, en train de succomber aux effets du poison se résout à égorger son bébé. Elle dit qu'elle ira en enfer si elle le laisse aux soins de Iemon. Le calcul semble juste puisque la fin du film nous montre Iemon torturé de toutes les façons possibles tandis qu'elle apparaît radieuse, dans une lumière blanche son enfant dans les bras.

Oiwa en plein dilemme ; Iemon se débarasse enfin de ce bon à rien de Naosuke ; Oiwa tous au paradis, même toi.Oiwa en plein dilemme ; Iemon se débarasse enfin de ce bon à rien de Naosuke ; Oiwa tous au paradis, même toi.Oiwa en plein dilemme ; Iemon se débarasse enfin de ce bon à rien de Naosuke ; Oiwa tous au paradis, même toi.

Oiwa en plein dilemme ; Iemon se débarasse enfin de ce bon à rien de Naosuke ; Oiwa tous au paradis, même toi.

Fantômes et mauvaise conscience

Pour autant, le cinéma de Nakagawa ne se résume pas à un tract bouddhiste. Si beaucoup de ses schémas viennent de ses croyances, la lecture qu'on peut en faire n'est pas seulement religieuse. Nakgawa déclarait que l'enfer qu'il représentait était davantage psychologique que physique. Au cinéma, il faudra pourtant en passer par une représentation physique. Il faut dire que les fantômes qui hantent ses films ont davantage à voir avec la mauvaise conscience qu'avec ceux de Ghostbusters ou les zombies de Romero. Le fantôme au Japon est souvent passif. Il n'a finalement pas d'autre pouvoir que d'apparaître. Ce qui jaillit alors, c'est la mauvaise conscience du personnage qu'il essaie vainement de chasser à coups de sabre tuant ceux qui lui veulent du bien comme Iemon tuera sa seconde femme en croyant frapper le fantôme de la première. Lorsque le fantôme d'Oiwa apparaît à sa jeune soeur, elle n'a plus le visage défiguré et ne l'effraie pas. On remarque d'ailleurs que ce sont les victimes innocentes qui font les fantômes. Le père d'Oiwa tué au début du film ne reviendra pas le hanter par exemple.

Les décors serviront aussi à mettre en scène cette affleurement de la culpabilité. Les fantômes rejouent la scène de leur mort devant leur assassin. Bien souvent, le cadavre caché rejaillit visible aux yeux du coupable. Un homme jeté dans un puits en ressort. Les marécages serviront fréquemment de décor à ses films. Ce mélange entre terre et eau permet de faire réapparaître les choses cachées. Dans Tokaido Yotsuya Kaidan, la robe et la broche d'Oiwa refont surface et Iemon verra son cadavre mutilé dériver vers lui. De même, certaines de ses apparitions sont précédées d'un inexplicable clapotis. Les personnages de Nakagawa au bord de l'eau y scrutent souvent leur conscience.

L'architecture japonaise contribue aussi à rendre toute tentative de fuite de la culpabilité inutile. Les shojis, les minces portes coulissantes, des maisons japonaises empêchent d'être chez soi à l'abri. On peut trouver de nombreux plans au cours desquelles elles s'ouvrent lentement, laissant planer le doute sur l'identité de celui qui se tient derrière. L'espace clos ne l'est jamais vraiment, sauf peut-être lors de ce plans dans le temple dans lequel Iemon est placé au centre d'une sorte de chapelet géant que font tourner des moines assis en cercle autour de lui.

Iemon en train de subir une mauvaise influence ; Une apparition de fantôme au plafond au terme d'un long plan ; La version japonaise du jeu du facteur, à moins qu'il ne s'agisse d'un rituel de désenvoûtement.Iemon en train de subir une mauvaise influence ; Une apparition de fantôme au plafond au terme d'un long plan ; La version japonaise du jeu du facteur, à moins qu'il ne s'agisse d'un rituel de désenvoûtement.Iemon en train de subir une mauvaise influence ; Une apparition de fantôme au plafond au terme d'un long plan ; La version japonaise du jeu du facteur, à moins qu'il ne s'agisse d'un rituel de désenvoûtement.

Iemon en train de subir une mauvaise influence ; Une apparition de fantôme au plafond au terme d'un long plan ; La version japonaise du jeu du facteur, à moins qu'il ne s'agisse d'un rituel de désenvoûtement.

Un maillon entre l'ère Edo et Ring

Une des grandes réussites du cinéma de Nobuo Nakagawa aura été de parvenir à mêler harmonieusement des éléments qui semblaient inconciliables : films de série B, théâtre kabuki, tournages à petit budget ou bouddhisme. Nombre des œuvres de sa filmographie d'une grande élégance mériteraient sans doute d'être davantage visibles en occident. Si elles nous parviennent encore de manière directe, c'est à travers de rares festivals ou de quelques sorties en DVD sur le marché américain. D'une manière indirecte, les réalisateurs de la J Horror, ces films d'horreurs japonais apparus vers les années 2000, reconnaissent une dette envers lui. Le fantôme de Ring d'Hideo Nakata n'est-il pas le sosie de celui qui hante The Black Cat Mansion de Nakagawa aussi bien que les scènes de kabuki ?

Un exemple d'utilisation des shojis ; Un temple ; La finale des championnats du monde de roi du silence.Un exemple d'utilisation des shojis ; Un temple ; La finale des championnats du monde de roi du silence.Un exemple d'utilisation des shojis ; Un temple ; La finale des championnats du monde de roi du silence.

Un exemple d'utilisation des shojis ; Un temple ; La finale des championnats du monde de roi du silence.

Tokaido Yotsuya Kaidan (The Ghost of Yotsuya), réalisé en 1959 par Nobuo Nakagawa. Durée : 1 heure 16 minutes.

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Merci à Guillaume B de Nihon Eiga pour ses précieux renseignements.

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